... et ses vagues.
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HITOHIRA SAITO
斎藤仁平
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Les armes
Ici on apprend d'abord à tenir correctement une arme, on en comprend la logique. L'héritage classique d'Iwama, reste et restera un corpus intangible. Les élèves qui suivront ultérieurement d'autres écoles découvriront d'autres postures, d'autres gardes, d'autres attaques, d'autres enchaînements, peut-être tout aussi valables. Mais ils auront acquis le souvenir d'une discipline, et d'une structure nécessairement homogènes et cohérentes, qui seules permettent, à la longue, d'accéder aux sensations de situations martiales réelles, et non, au pire, de bringueballer vaguement un outil dangereux. Le taijutsu
Morihiro Saito (père de Hitohira) avait 18 ans en 1946 lorsqu'il devint élève de Morihei Ueshiba, fondateur de l'Aikido. Dans cet immédiat après-guerre, le dojo que Morihei Ueshiba dirigeait personnellement dans la petite ville d'Iwama était déserté de ses anciens élèves, qui devaient prioritairement subvenir à leurs besoins dans un Japon ruiné, et étaient amenés à rejoindre le Hombu Dojo de Tokyo, supervisé par le fondateur mais confié depuis 1942 à son fils Kisshomaru, dont le style s'imposa sous le nom d'Aikikai. Morihiro Saito resta donc, un temps, quasiment seul avec le Fondateur, fut instruit directement par lui dans le style mains-nues typique de l'avant-guerre et bénéficia, seul, de cette formation au bokken et au jo qui devait constituer l'une des caractéristiques de son style. En parallèle, Morihei Ueshiba encourageait l'introduction du style de la très réputée école d'armes Kashima Shinto-ryu au dojo de Tokyo, sans toutefois y participer personnellement (les sources manquent pour expliquer ce choix). Puis O'Sensei chargea Morihiro Saito de diriger le dojo d'Iwama après sa mort et le nom de la ville qualifia un style qui marqua, spécialement, nombre d'Occidentaux venus sur place comme uchi deshi. Pour s'en tenir à quelques traits marquants, ce style peut être caractérisé par : Ce style n'échappa pas aux critiques (mais quel style y échappa ?), reprochant à cette "biomécanique" du Kihon d'accentuer une tendance au "passage en force au niveau des épaules", et de minimiser le rôle du rythme et de la mobilité. En fait ce courant fut très marqué par la personnalité et le gabarit de Morihiro Saito : selon les témoignages, sa démarche pédagogique très méthodique était particulièrement adaptée à l'attente d'élèves occidentaux souvent déroutés par des relations d'enseignement typiquement japonaises. Par ailleurs, sa silhouette immense et massive favorisa des choix spécifiques dans la construction des techniques. Enfin il semble que les Japonais d'après-guerre n'ont pas porté à la science des armes traditionnelles (ou du moins à leur pratique effective) le même intérêt technique et symbolique que les Occidentaux. A la mort de son père (2002), Hitohiro prit sa suite, et dut faire face en 2004 à un litige avec le Hombu dojo : Moriteru Ueshiba, fils de Kisshomaru et 3ème doshu, lui refusa le droit de délivrer des dan de bukiwaza (techniques d'armes), qui étaient donc spécifiques à Iwama. Hitohiro était prêt à accepter en l'échange de la reconnaissance officielle des particularités du style. Dans le silence de l'Aikikai la rupture fut consommée et Hitohiro créa officiellement le mouvement "Iwama Shin Shin Aïki Shuren-kai". En bref : des blessures d'amour-propre de toutes parts depuis plusieurs générations, et un patrimoine de connaissances (unique concernant les armes) dont la transmission devient problématique. Et le tout agravé localement par la violence des querelles franco-françaises, à tous les niveaux de l'Aikido. Or donc, Hitohiro, qui s'impliquait dans la direction du mouvement depuis les années 1990 mais qui n'était pas pressenti pour bouleverser les lignes, s'affirme selon une voie inattendue. Pourtant, des indices auraient pu retenir l'attention : une interview de 1997 laissait entrevoir un caractère, avec sa dose de positions personnelles, évoquant le Takemusu et glissant un mot aimable à l'attention de Koichi Tohei, sujet alors tabou à l'Aikikai. Et ce prénom qu'il change en 2009, de Hitohiro en Hitohira ? Sans chercher à explorer les arcanes des usages nippons, il est tout de même permis de s'interroger : Un maître japonais ne bouscule pas le symbolisme des Kanji sans vouloir exprimer une maturation. D'une morphologie différente de celle de son père, combinant paradoxalement une rondeur de taille moyenne à une très étonnante souplesse de félin, il crée la surprise lors de ce stage : aux qualités de méthode et de pédagogie héritées, il ajoute une gestuelle associant une mouvance tonique et une précision épurée. La synthèse de l'impeccable et de l'élégant en somme. "Gardarem nos moutons" (ou à peu près) protestaient les paysans du Larzac dans les années 70, la fourche à la main. "Eux" veulent gardarer leurs armes et d'une façon générale leur style. Et ils ne sont pas les seuls. L'avenir sera autre si la voie est trouvée.
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