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    NUIT DES ARTS ASIATIQUES DE MARNE ET GONDOIRE (12 AVRIL 2008)
     
    ll est des jours où on sort son petit vélo, on erre, on pousse une porte et on fait une surprenante découverte. C’est à peu près ce qui aurait pu vous arriver le 12 avril dernier, en arrivant au gymnase de Collégien, à l’Est de Torcy, lors de la « Nuit des arts asiatiques ».

    Vincent Brajdic, responsable de l’association Amata, organisatrice, nous initie à un parcours qui fut parrainé par l'ambassade du Japon, et inscrit au calendrier officiel des manifestations célébrant le 150ème anniversaire des relations franco-japonaises.


    AV : - D’emblée, l’impression marquante était le professionnalisme de cette « nuit des arts asiatiques». Aviez-vous une expérience antérieure de ce genre d’aventure ?

     
    VB : - En fait, la première édition a eu lieu en 2006. L’association Amata existe depuis 2003 et son rayon d’action touche environ la moitié des quatorze communes qui forment l’entité « Marne et Gondoire ». Nous enseignons l’Aïkijutsun le Iaïdo et l’art des bonzaï.
    AV : - … et l’art des bonzaï ??

    VB : - Les enseignants ont une vingtaine d’années de pratique de leurs disciplines respectives et tiennent au respect d’une référence culturelle.

    AV : - N’est-ce pas parfois une prise de risque ?

    VB : - « Le risque » … C’est le mot …

     
    En tous cas, c’est le principe que nous avions appliqué en 2006. Nous voulions réaliser un événement complet, pas une petite manifestation communale.

    Nous nous étions alors associés avec le club de Kung Fu local qui s’était chargé, avec grand succès, de faire venir des moines de Shaolin. Mais l’organisation de la journée était différente : Nous avions combiné la nuit avec des expositions gratuites sur des aspects culturels (cérémonie du Thé, calligraphies chinoises et japonaises, origami, jeu de Go, art du bonzaï, ikebana …).


    Notre but était d’éviter tout exotisme facile, un dépaysement à bon compte. Nous voulions aborder les problèmes de fond. Le résultat fut enthousiasmant, et le soir, la salle fut comble.

    Nous avons aussitôt mis en chantier la préparation de 2008, mais d’emblée les choses se sont présentées différemment : Les salles d’exposition ne seraient plus disponibles en raison de leur rénovation et nous devrions, jusqu’à la dernière minute, travailler dans l’incertitude concernant les subventions, en raison des élections municipales.

    Et pourtant, nous voulions absolument garder une formule permettant d’associer aspects culturels et approches des budo. Le danger était évidemment de décevoir des deux côtés !

    Il fallait aussi maintenir un équilibre entre clubs locaux et « extérieurs ».

     

    AV :- Selon quels principes avez-vous organisé l’enchaînement des présentations ?

    VB : - Il fallait tout d’abord agencer les différentes présentations pour obtenir un ensemble harmonieux. Nous avons donc suivi le principe « une présentation artistique / deux disciplines martiales »

    En matière de fonds sonores et d’éclairages, de réalisations des vidéos de présentation, et prise de sons, il fallait trouver le ton juste, car il s’agissait d’installer un climat émotionnel mettant en valeur les thèmes dominants d’une discipline à l’intention d’un public pas nécessairement averti. Mais cela sans être réducteur ou caricatural. Bref, sans sombrer dans un show biz qui aurait été complètement déplacé ici.

    Des choix scénographiques ont été soupesés avec soin, en particulier pour les fonds sonores (ou au contraire le choix du silence) des présentations martiales.

    De toutes façons, tout devait être impeccable, puisque c’était la matière même du futur DVD Que nous allons éditer pour assurer un prolongement à l’événement … Et assurer son équilibre financier Car le moins que l’on puisse dire est que, de ce côté, les soutiens ont été légers …

    Toute cette logistique a été prise en charge par un groupe d’une dizaine d’ados d’ici (de quatre à cinq pour le « noyau ») qui étonne tout le monde par leur efficacité : Ils ont décidé de fonctionner selon un mode d’efficacité entreprenariale … et d’électrons libres. Carrément ! Entre autres, ce sont eux qui ont négocié les devis de location de matériel …

    La soirée a donc commencé par une danse traditionnelle japonaise (une danseuse et trois musiciens). Il s’agissait d’une invocation des esprits, et d’emblée, la tonalité émotionnelle était installée. Après le Hapkido (coréen) et le Yi King do (vietnamien), et avant le Modern Arnis (philippin), la danse Khmère était très appropriée puisqu’elle était extraite d’un rituel du Nouvel An. Ces deux formes de danse étaient lentes et hiératiques, elles se sont très bien intégrées à l’ensemble.


     
    AV :- La danse contemporaine aussi, d’ailleurs. A voir ces gamines, on pouvait s’attendre à des évolutions mignonnes que l’on considère avec tendresse. Et il ne s’agissait pas du tout de cela.
     
    VB : - Elles sont parvenues à rendre une ambiance avec une maîtrise rare. Leur chorégraphe est 4ème dan de Kyudo et leur travail est une véritable recherche. Ce groupe est originaire de la commune de Collégien même.

     

    AV :- Les premières disciplines martiales présentées étaient Hapkido, Yi King Do et Modern Arnis, puis Jujitsu

    VB : - Il fallait faire passer, avec des moyens simples, quelque chose d’authentique. Il peut y avoir risque de malentendu : par exemple, verser dans un maniérisme, une chorégraphie en décalage avec la pratique, vouloir faire du style « Kill Bill » au ralenti. La sobriété a été la bonne formule, particulièrement réussie pour le Jujitsu : Simplement deux partenaires en scène, démo lente, puis à vitesse réelle. C’est tout, et le rendu était très bon.


    AV :- Puis L’Aiki-Jutsu et le Iaïdo :

    VB : - Il s’agissait de la présentation du travail de l’association Amata : L’utilisation de l’espace a été différente : Cinq groupes étaient présents en scènes. Les enchaînements devaient donc être très soignés.

    AV :- A quelle école êtes-vous rattaché ?

    VB : - Au Katori Shinto Ryu, qui est représenté en France, principalement par deux écoles :

    Le Tenshin Shoden, dont le club central est à Vincennes, et qui reçoit périodiquement le représentant officiel japonais, et qui a la volonté de rester relativement confidentiel. Et par ailleurs, l’école de Michel Floquet, qui a écrit plusieurs ouvrages.

     


    Cette discipline n’a pratiquement pas évolué depuis six siècles, et associe pratique martiale, démarche éthique, et interrogation philosophique. Nous pratiquons donc le Shiatsu et le Ci Cong en plus des techniques martiales (mains nues et armes, elles-même incluant le Iaïdo).

    AV :- Votre démonstration a été suivie par celle de Kendo

    VB : - Il s’agissait de l’Equipe de France, car le Kendo est une discipline compétitive. Cela donnait un ton particulier à leur présentation. De plus, leurs tenues et l’intensité de leurs kiaï ont pu impressionner les plus jeunes spectateurs !

    AV :- … puis la musique traditionnelle chinoise : rupture d’ambiance avant le Wing Chun !

    VB : - Les deux musiciennes sont des virtuoses de très haut niveau du Conservatoire central de Pékin. Elles ont alterné deux duos et deux solos classiques à l’Erhu et au Zheng (sortes de violon et cithare chinois).

    Mais elles ont aussi « accompagné » sur scène la présentation de Wing Chun. L ‘école de Didier Beddar représente plutôt le style du Sud de la Chine, qui a pu représenter une nouveauté pour le public car il est plus axé sur le travail des mains que le style du Nord.

    AV :- Puis sont intervenus les experts japonais.

    VB : - Les contacts que nous avons pris avec eux s’intégraient dans la commémoration des 150 ans de relations franco-japonaises. Ils ont donc été pris dans un cadre officiel. Cinq experts japonais ont donc fait spécialement le voyage pour présenter une école de Naginata (Jiki Shin Kage Ryu) et des Kata de combats en armure de samuraï (Yagyu Shingan-Ryu).

    AV :- Comment avez-vous personnellement ressenti cette rencontre ?

    VB : - Sur le coup, les échanges avec les experts japonais ont été très déstabilisants pour moi, malgré l’aide des interprètes.

    J’ai été frappé par l’investissement infini avec lequel ils ont traité chaque circonstance : Le premier jour, après 14 heures de voyage, ils ont tout de suite demandé à voir le lieu de la manifestation pour le « repérage » et pour prendre des décisions techniques (tatami ou pas, etc.). Dès leur arrivée dans le gymnase, ils ont remarqué des bokken qui y étaient entreposés. Ils s’en sont emparés aussitôt et ont commencé à pratiquer comme s’ils avaient été longtemps privés de quelque chose de vital.

    Ils ont d’ailleurs eux-mêmes dû faire face à des contrariétés inattendues : Ainsi, traditionnellement au Japon, il est hors de question de faire une démonstration martiale après le coucher du soleil, et ils étaient décontenancés par le fond musical qui accompagnait certaines démonstrations …

    A la fin, j’ai été tout autant sidéré, mais pour une toute autre raison : C’était la simplicité et la spontanéité avec laquelle ils ont réagi aux égards (pourtant la moindre des choses) que nous avions eus pour eux. Il y avait là quelque chose du concept de kokoro.

    Par rapport à la soirée elle-même, ils se sont documentés très précisément sur chacune des différentes prestations qui la constituaient, et, durant son déroulement, ils ont manifesté un grand intérêt pour chacune d’entre elles … Y compris en envoyant un compte-rendu détaillé au Japon dès le lendemain matin. Ils étaient visiblement très sensibles à ce qui est véhiculé lors d’une présentation martiale. Ils ont quasiment une démarche artistique.

    Durant les cinq jours où nous leur avons fait visiter la région, ils ont manifesté un goût documentaire surprenant, allant jusqu’à demander comme une faveur, après les bons restaurants et les invitations protocolaires, à goûter un plat du jour à la cafétéria du « Casino » du coin !

    En somme, ils ont voulu marquer leur totale implication et leur sentiment de responsabilité personnelle dans le déroulement de l’ensemble.
     


    Cette dame, d’une « présence » d’autant plus impressionnante qu’elle-même est d’une taille minuscule, a 77 ans, et descendante d’une famille de samurai, elle a été initiée à la naginata dès l’âge de trois ans, Elle a été félicitée par l’empereur du Japon en personne pour sa contribution au patrimoine national. Quant à son partenaire, c’est, tout simplement le dix-huitième « soké » de cette école.

    Quant aux trois samuraï qui ont démontré des kata en armure, ils représentent une discipline unique. Il était très étonnant de voir évoluer avec tant d’aisance un homme de quatre-vingt ans portant une tenue qui pesait, au total, près de trente kg.

    AV :- Avez-vous ressenti un échange entre les disciplines martiales ?

    VB : - J’ai ressenti une « communication » lors d’un dîner avec les experts japonais : La dame s’est tournée vers moi, me voyant arriver en retard, et elle m’a dit en souriant « Vous, vous venez de faire une bêtise ! ». Effectivement, j’avais eu un petit pépin avec le véhicule de location, et j’étais pourtant persuadé de bien dissimuler ma contrariété ! …

    Puis, au cours de la conversation, nous avons parlé des concepts que l’on retrouve dans les différentes disciplines martiales. Le soké évoqua l’exigence à laquelle ils se soumettent en matière de maîtrise du geste : Un exercice consiste à envoyer directement par le fond, en une seule frappe de katana, un bol retourné flottant sur un baquet d’eau. Il faut au moins un an d’un entraînement soutenu pour y parvenir.
     


    Nous avons parlé des concepts que l’on retrouve dans les différentes disciplines martiales asiatiques. La dame prit alors son verre d’eau, le vida et, désignant le fond du verre où restait quelques gouttes, elle expliqua le concept de « Zanshin » : « Quand il ne reste plus rien… »

    En observant leur travail, il me semble qu’ils ont cherché à démontrer que le Ki se manifeste dans le silence et l’économie du geste.

    AV :- Pourquoi avez-vous pris tant de risques ?

    VB : - (rire)… Maintenant, je me demande si ce n’était pas, inconsciemment, pour voir une dame, après 74 ans de Naginata, méditer en regardant le fond d’un verre vidé …
     

    Association Amata :
     
    Gymnase de Collégien
    Allée du Parc
    77090 Collégien
     
    assoamata@free.fr
     
    assoamata.free.fr/evenements.htm

      Crédits : Photos : © Association Amata
    Interview : Mu.