L'Aïkido, en tant qu'art martial non-violent, est un défi à la logique et
on y vient souvent suite à une remise en question personnelle profonde.
Les enjeux y sont loin d'être évidents, et parfois ambigus.
Un dojo d'Aïkido est un minimonde fragile.
Et le monde, en tournant, peut ramèner à la surface des comportements
que l'on croyait dépassés. Mêlés à quelques contresens actuels, peuvent-ils,
dans certains cas, tout emporter ?
Dojo / Danger
En se baladant dans les dojos, on voit un peu de tout.
Comme dans la vie, la bonne grosse blague un peu frustre
peut parfois être l'expression rigolarde d'une sincère camaraderie,
et la rosserie discrête et acérée, être la marque d'un mépris destructeur.
"Pratiquer avec une femme est dégradant" est-il doctement énoncé dans un ouvrage connu,
visant apparemment à mieux faire comprendre l'Aïkido. On chercherait en vain une
argumentation dans ce livre : La chose est entendue en moins de dix mots. Inquiétant.
Est-il besoin de le mentionner, messieurs, le sourire
d'une femme ne signifie pas (en général)
qu'elle entend être honorée de vos faveurs.
La pérennité d'un dojo peut parfois se deviner
à l'aune des sujets de discussion dans les vestiaires des dames,
à la dose de bisouillage etc. On peut être prête aux dernières barricades
pour le droit à vivre la vie privée de son choix,
et revendiquer l'humble tâche de
transmettre les systèmes de valeurs et les règles de leur transgression.
Et pourtant se demander
si le rose bonbon ne risque pas d'être, pour un dojo, une planche savonnée.
Où finit le dojo, où commence le Club Med ?
Surtout lorsque c'est l'enseignant qui encourage
à jouer sur les deux tableaux (au niveau du port du hakama,
par exemple, style 3ème kyu pour les femmes et 2ème pour les hommes).
Celles qui ont connu le Women's Lib' et ses délires (et ses excuses aussi :
on revenait de loin) en restent pantoises, et ne sont pas loin de penser
qu'introduire des discriminations positives inutiles, glisser mine de rien
de l'indulgence à la condescendance, sont une forme d'insulte et de castration insidieuse.
Mais l'accepter sans broncher, voire s'en sentir flattée, est pire encore.
Bien des jeunes gens reprochent aux jeunes femmes de jouer sur
les deux tableaux, exigeant simultanément l'égalité de traitement
et les privilèges dus aux petites choses fragiles (étant entendu que doivent
être prises en compte les différences de gabarit, ce qui n'a rien de sexué).
Il y a aussi, sur le dojo, l'emprise dominatrice de certaines, et
certains auraient probablement intérêt à moins se préoccuper
des aventures de leur vertu, et plus de l'avenir de leur équipe.
Et parfois les histoires de bonnes femmes ne sont pas le fait des femmes.
Derrière les apparences - et d'autant plus qu'apparence il y a -
il est des débordements masculins qui peuvent être d'une redoutable femellité.
Virilité, mâlité, féminité, femellité en Aïkido :
rajoutons yin et yang et embrayons.
YinYang sens dessus-dessous
Les arts martiaux font constamment appel à l'équilibre du yin et au yang,
ce serpent de mer qui barbotte un peu partout actuellement.
Sautons donc sur l'occasion.
Dire que le Yin est le principe féminin, et le Yang le principe masculin,
est un contresens commode. En fait l'Extrême Orient perçoit,
de manière plus ou moins affirmée selon les cultures qui le composent,
un monde à base deux (alors que pour l'Inde le monde repose sur un système
à base trois). L'ensemble des informations captées par nos sens et notre intellect
est Yin ou Yang. Qu'il s'agisse de couleurs, de volumes, de sons, de matériaux,
d'aliments, de mouvements, d'état d'âme, d'abstractions... ou, accessoirement,
de ce qui est sexué.
Nous-mêmes sommes la résultante de combinaisons, évolutives au cours
des différentes cycles de la vie, de perceptions, de goûts, de sensibilités,
de raisonnements, de décisions etc. dont chaque composant est à dominante
Yin ou Yang, Nous sommes multiples, nous sommes variés. Cette combinaison est
notre unicité, notre "signature". Nous l'exprimons plus ou moins consciemment
lorsque nous effectuons un "happo undo".
Or il ressort d'opinions communément admises que ce qui est
femelle est généralement à dominante Yin, et vice versa pour ce qui
est mâle. Mais L'Occidental, dans une démarche inverse, sexue systématiquement le Yin et le Yang
car, n'ayant pas la même histoire culturelle il n'a pas, en la matière, d'autres points de repère.
Ceci dit on ne peut pas naviguer sans repères.
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Feu, trame (au sens "tissage") de l'existence
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eau, chaîne (au sens "tissage") de l'existence
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Ki, concret
intégration
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La verticalité (l'eau coule), la partie droite du corps sont Yin :
Eh oui, l'horizontalité et la partie gauche... L'arme est dirigée par le Yin
et son énergie est régulée par le Yang. On est loin de la "dextre" et de la "sinistre".
On découvre avec surprise que des écoles d’armes anciennes
(ex. Katori Shinto ryu) ont organisé leur pédagogie selon une progression
du Yang vers le Yin. Déstabilisant ?
La dévalorisation du féminin (à ne pas confondre avec la dévalorisation
sociale de la femme, qui est une autre question) n’est pas asiatique :
Les mythes fondateurs asiatiques sur les origines de l'humanité ne sont
pas fondés sur la culpabilité, et la femme n'est pas associée au péché.
D'ailleurs la psychanalyse freudienne n'y a eu aucun succès. L'homme occidental
accorde la quête héroïque à Prométhée et la vilaine petite désobéissance à Eve. Il
se trouve donc invité à une approche péjorative du Yin, et ce - courage, on y arrive ! -
jusqu'à l'auto-amputation de ses propres composantes Yin.
L'homme asiatique serait-il moins viril ?
Lui qui admet qu'un homme soit, par certain côtés, très yin
sans être efféminé pour autant, qu'un femme soit volontier yang sans être une virago.
Et qui n'assimile pas spécialement la notion de domination au Yang
De fil en aiguille, pour jeter un coup d'oeil dans nos propres ascendances,
les auteurs latins avaient tenté l'aventure intéressante de relativement
dé-sexuer la virilité pour l'appeler "virtu" (qui, d'accord, garde "vir". Qui
n'a pas grand chose à voir avec "virtuel", ceci précisé pour les jeunes générations)
qu'ils aimaient tant reconnaître, aussi, chez les femmes.
Quant au résultat de l'amputation, ce n'est pas la virilité,
mais la mâlité, quelque chose de bancal qui se double souvent d'un dénigrement
inquiet des autres formes relationnelles.
La femellité y est une réponse directe, une manière d'en tirer parti,
utilisant le même instinct de domination, les mêmes rapports de force,
les mêmes dérisions et les
mêmes vachardises.
De toute façon, au moment de la méno- et de l'andropause,
mâlité et femellité disparaissent, et on peut alors se sentir nu.
Epoque bizarre
Cela vaut la peine de poser la question périodiquement,
au gré du balancier historique. Il semble bien qu'en matière d'incompréhension H/F
on en soit revenu à une époque ante-soixantehuitarde. Espérons qu'on n'en
descendra pas aux belles heures du cinéma polisson des années 1950,
qui, tout en se conformant scrupuleusement à une censure aussi tâtillonne
qu'étriquée, était un monument d'avilissement, bien plus destructeur qu'un gros porno d'aujourd'hui.
Bien des hommes se ressentent interdits de rêves malgré la puissance
de leur imaginaire. Tandis que tant de femmes voudraient agir, et se retrouvent confinées
dans une rêvasserie d'où elles ne dérangeront personne. L'imaginaire a sa place en Aïkido, à condition
de ne pas bloquer au sous-sol l'ascenseur des chakras, et de ne pas bâtir une forteresse
autour de son nombril pour aller s'y cacher.
Et il n'est pas interdit de supposer qu'obtenir, à grands coups de "cul partout",
un monde de machos obtus et de chipies stupides
soit actuellement un objectif politique délibéré. Superbe cadeau aux sectes qui savent si bien récupérer les mal-être.
Une image ? Toutes les cellules d’un corps contiennent le stock complet
de chromosomes, à l’exception de celles de la reproduction (qui se contentent
de la moitié). De la même manière, les motivations humaines se retrouvent
dans leur richesse et leur vastitude, aussi bien chez les femmes que chez les hommes,
modulées de Yin ou de Yang en fonction de la "signature"
de l'individu, qu'il s'agisse de la vie professionnelle, des loisirs etc. Alors que l'attraction amoureuse provoque, elle,
une accentuation yang ou yin des comportements en fonction directe
de son sexe. Mais ça, c'est une autre histoire.
Histoire pour ça
Monsieur de La Tour d'Auvergne, gentilhomme bas-breton et modeste officier,
avait toujours refusé tous les honneurs et les subsides
que ses héroïques faits d'armes auraient pu lui valoir
(à tel point que Bonaparte, conquis par cet inclassable olibrius,
créa spécialement pour lui le titre de "premier grenadier de la République").
Or, venant de prendre sa retraite, LTA apprit que le fils unique d'un de ses vieux
amis avait été réquisitionné et devait s'engager dans l'armée. L'ami n'avait pas les moyens de lui
trouver un remplaçant. Alors, pour le remplacer, Théophile Malot Corret de la Tour d'Auvergne,
toujours pauvre comme Job, se réengagea à l'âge de 54 ans,
comme simple soldat.
Mais qu'est-ce qu'elle vient foutre ici cette histoire ?
Si tu as intégré le symbolisme du hakama (Confucianisme),
admis ta place dans la nature (Shintoïsme), accepté l'ultime du renoncement (Zen),
alors tu pourras atteindre le vide créateur au calme intense (Mushin). Nul jamais ne te cherchera plus noise (Katsuhayabi),
et tu seras une femme, ma fille.
La virilité, c'est l'impalpable, la féminité aussi.
CREDITS :
Sur les trigrammes,
fiche Wikipedia
sur vertical / horizontal : extrait du livre de John Stevens "l'Essence de l'Aikido"
(chapitre expliquant un mandala annoté, réalisé par Morihei Ueshiba)
Prométhée / Eve : idée développée par Nietzsche dans "Naissance de la tragédie"
Détail d'un
tableau représentant Descartes à la cour de la reine
Christine de Suède (il ne nous avait pas tout dit, le canaillou).
Sur La Tour d'Auvergne
fiche Wikipedia
Sur les valeurs attachées aux plis du hakama,
un article très détaillé
... Ceci dit, réalisations graphiques : © Mu.
Le scoop ?
Eh oui : elle rengainait à contre-hanche !
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