aikido ... et ses vagues.
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HITOHIRA SAITO
斎藤仁平

 
ou la géométrie de la Voie

 
Stage international de Chartres-en-Bretagne (2,3 et 4 novembre 2012)

Les armes
    "Pour le 1er suburi de Jo, attention, la main droite, à la fin du tsuki est très exactement à la longitude de l'épaule et à la latitude de l'estomac ; pour le 4ème, la main gauche reste très près du corps et la trajectoire de la pointe s'élève à tel angle avant la redescente, les mains sont espacées de la largeur des épaules ; pour l'ushiro tsuki du 9ème, le jo est absolument horizontal ; pour les Hasso, attention à la courbure du "8", etc.
Les bases du bokken et du jo sont repassées au peigne fin, et les boulons sont ressérés sans dévier d'un quart de ligne.
 
Ici on apprend d'abord à tenir correctement une arme, on en comprend la logique. L'héritage classique d'Iwama, reste et restera un corpus intangible.
 
Les élèves qui suivront ultérieurement d'autres écoles découvriront d'autres postures, d'autres gardes, d'autres attaques, d'autres enchaînements, peut-être tout aussi valables. Mais ils auront acquis le souvenir d'une discipline, et d'une structure nécessairement homogènes et cohérentes, qui seules permettent, à la longue, d'accéder aux sensations de situations martiales réelles, et non, au pire, de bringueballer vaguement un outil dangereux.
 
Le taijutsu
 
Pour commencer : Tai no Henko, puis Kokyu nage (au sens Iwama du terme), bien sûr : cette habitude peut paraître un rituel hermétique à l'observateur superficiel, mais il marque systématiquement le début de chaque cours Iwama. Ces 2 techniques sont considérées comme renfermant l'essentiel des bases techniques de l'aikido, que cela soit en terme de déplacement, de souffle, de kokyu, etc. Elles ont un but préparatoire.
 
S'ensuit un enchaînement sans surprise non plus : des attaques en KatateRyote dori ("Morote dori" en terminologie Iwama). L'Ecole attache une importance particulière à ce type d'attaque qui favorise une saisie statique solide.
 
Puis Hitohira Saito développe longuement les attaques Morote à deux assaillants.
 
Puis, bifurcation, le maître demande des attaques en nagare (mobiles) pour des techniques en Ryokata dori expédiés bras croisés serrés contre le corps ("comme pour porter un bébé"), ce qui désarçonne un peu l'assistance.
 
Puis une série de Kata dori menuchi, avec manche attrapée par dessous, à commencer par un Juji garami qui effraie.
 
Et une technique où les protagonistes finissent dos à dos, qui est plutôt inattendue (du moins pour un oeil Aikikai).
 
Puis des Katadori menuchi avec saisie au revers de la veste, puis des Muna dori inhabituels, puis une avalanche de Kokyu nage (au sens "non-Iwama" du terme), enchaînant, en particulier, les formes Tenkan-ura...


 

Les débutants cherchent et pataugent, les avancés interprètent (assez librement !).
 
Le maître arrête leurs élucubrations et décompose alors en Kihon (itchi, ni, san), il insiste sur le placement des pieds, très précis... et passe sans pitié à la technique suivante. S'en suit un festival d'Eri dori puis de Kubishime. Le maître démontre deux fois, pas une de plus, débrouillez-vous, comprenez. Au bout de deux heures c'est l'ébullition. Pourtant lors de chaque ré-explication, en quelques phrases essentielles et quelques gestes précis, le pourquoi du comment de cet Enfer apparait, logique et débroussaillé.
 
Alors le maître s'arrête, et démentant cet air d'absence qu'aiment prendre d'habitude les chats expérimentés, son visage s'éclaire, et il blague de bon coeur. Traduction. Et toute l'assistance, sincèrement touchée, rit et applaudit. Et chacun ressent qu'il se passe quelque chose.
Trajectoire
 
Morihiro Saito (père de Hitohira) avait 18 ans en 1946 lorsqu'il devint élève de Morihei Ueshiba, fondateur de l'Aikido. Dans cet immédiat après-guerre, le dojo que Morihei Ueshiba dirigeait personnellement dans la petite ville d'Iwama était déserté de ses anciens élèves, qui devaient prioritairement subvenir à leurs besoins dans un Japon ruiné, et étaient amenés à rejoindre le Hombu Dojo de Tokyo, supervisé par le fondateur mais confié depuis 1942 à son fils Kisshomaru, dont le style s'imposa sous le nom d'Aikikai.
 
Morihiro Saito resta donc, un temps, quasiment seul avec le Fondateur, fut instruit directement par lui dans le style mains-nues typique de l'avant-guerre et bénéficia, seul, de cette formation au bokken et au jo qui devait constituer l'une des caractéristiques de son style. En parallèle, Morihei Ueshiba encourageait l'introduction du style de la très réputée école d'armes Kashima Shinto-ryu au dojo de Tokyo, sans toutefois y participer personnellement (les sources manquent pour expliquer ce choix).
 
Puis O'Sensei chargea Morihiro Saito de diriger le dojo d'Iwama après sa mort et le nom de la ville qualifia un style qui marqua, spécialement, nombre d'Occidentaux venus sur place comme uchi deshi.
 
Pour s'en tenir à quelques traits marquants, ce style peut être caractérisé par :
  • L'importance accordée aux armes (qui constitue systématiquement 50% de la formation et des examens), enseignées selon une approche très codifiée,
  • Une pédagogie fondée sur une progression du statique vers le dynamique : les techniques ne sont, dans un premier temps, abordées que sous des formes "Kihon" : attaques statiques, saisies fermes voire dures, décomposition de chaque technique en phases, placements (en particulier des pieds) définis de manière très rigoureuse, résistance de Uke à la chute. Les formes "Nagare" (fluides, mobiles) ne sont, dans la forme la plus classique, abordées qu'ultérieurement (voire accessoirement dans certains dojo). Ce principe distingue donc Iwama-ryu de la plupart des autres styles (dont l'Aikikai), représentatifs de l'évolution ultérieure de la pratique du Fondateur, qui privilégient les formes fluides dans un premier temps, en laissant précision et vigueur s'installer progressivement au fil des années.
     
    Ce style n'échappa pas aux critiques (mais quel style y échappa ?), reprochant à cette "biomécanique" du Kihon d'accentuer une tendance au "passage en force au niveau des épaules", et de minimiser le rôle du rythme et de la mobilité.
     
    En fait ce courant fut très marqué par la personnalité et le gabarit de Morihiro Saito : selon les témoignages, sa démarche pédagogique très méthodique était particulièrement adaptée à l'attente d'élèves occidentaux souvent déroutés par des relations d'enseignement typiquement japonaises. Par ailleurs, sa silhouette immense et massive favorisa des choix spécifiques dans la construction des techniques. Enfin il semble que les Japonais d'après-guerre n'ont pas porté à la science des armes traditionnelles (ou du moins à leur pratique effective) le même intérêt technique et symbolique que les Occidentaux.
     
    A la mort de son père (2002), Hitohiro prit sa suite, et dut faire face en 2004 à un litige avec le Hombu dojo : Moriteru Ueshiba, fils de Kisshomaru et 3ème doshu, lui refusa le droit de délivrer des dan de bukiwaza (techniques d'armes), qui étaient donc spécifiques à Iwama. Hitohiro était prêt à accepter en l'échange de la reconnaissance officielle des particularités du style. Dans le silence de l'Aikikai la rupture fut consommée et Hitohiro créa officiellement le mouvement "Iwama Shin Shin Aïki Shuren-kai".
     
    En bref : des blessures d'amour-propre de toutes parts depuis plusieurs générations, et un patrimoine de connaissances (unique concernant les armes) dont la transmission devient problématique. Et le tout agravé localement par la violence des querelles franco-françaises, à tous les niveaux de l'Aikido.
     
    Or donc, Hitohiro, qui s'impliquait dans la direction du mouvement depuis les années 1990 mais qui n'était pas pressenti pour bouleverser les lignes, s'affirme selon une voie inattendue. Pourtant, des indices auraient pu retenir l'attention : une interview de 1997 laissait entrevoir un caractère, avec sa dose de positions personnelles, évoquant le Takemusu et glissant un mot aimable à l'attention de Koichi Tohei, sujet alors tabou à l'Aikikai.
     
    Et ce prénom qu'il change en 2009, de Hitohiro en Hitohira ? Sans chercher à explorer les arcanes des usages nippons, il est tout de même permis de s'interroger : Un maître japonais ne bouscule pas le symbolisme des Kanji sans vouloir exprimer une maturation.
     
    D'une morphologie différente de celle de son père, combinant paradoxalement une rondeur de taille moyenne à une très étonnante souplesse de félin, il crée la surprise lors de ce stage : aux qualités de méthode et de pédagogie héritées, il ajoute une gestuelle associant une mouvance tonique et une précision épurée. La synthèse de l'impeccable et de l'élégant en somme.
     
    "Gardarem nos moutons" (ou à peu près) protestaient les paysans du Larzac dans les années 70, la fourche à la main. "Eux" veulent gardarer leurs armes et d'une façon générale leur style. Et ils ne sont pas les seuls. L'avenir sera autre si la voie est trouvée.

    Notes :
  • Ce texte rend compte de la journée du samedi 3 novembre 2012 (le stage lui-même a compté deux autres demi-journées).
     
  • Le corpus de bukiwaza de Imawa-ryu compte, en fait : sept suburi de bokken, vingt suburi de Jo, cinq Kumitachi (bokken), dix Kumijo (avec variantes), Le "ki musubi no tachi" au bokken (kata d'harmonisation de l'énergie via le ken), les 7 ken tai jo (bokken contre jo). Ainsi que le "Kata des 31" et le "Kata des 13", qui se travaillent à deux pratiquants.
     
  • Sur le changement de prénom : 斎藤 仁弘 (Saito Hitohiro) devient, en 2009, 斎藤仁平 (Saito Hitohira).
    Rappelons que Saito Morihiro s'écrit : 斎藤 守弘
    et que le nom du fondateur, Ueshiba Morihei, s'écrit : 植芝 盛平
     
    Liens :
    Deux sites pour suivre l'actualité de ces questions :
  • http://iwama-ryu.fr
  • www.aikido-japon.com
     
    Crédits :
    Un grand merci à ceux qui, par leurs échanges et leurs témoignages, ont permis la finalisation de ce texte.
     
    Texte et dessins : Mu. (les croquis n'ont qu'un rôle d'illustration)


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